
Réalisation: Arnaud Desplechin
Scénario: Arnaud Desplechin, Julie Peyr
Acteurs principaux: Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet, Mathieu Amalric
Sociétés de production: Why Not Productions
Pays d’origine: France
Genre: Comédie romantique
Durée: 120 minutes
Sortie: 2015
Déjà primé deux fois lors des festivals de Cannes et de Cabour, le film d’Arnaud Desplechin caracole en tête du nombre de nominations (onze, ex aequo avec Marguerite) pour la 41ème cérémonie des César qui se déroule le 26 février 2016, dont entre autres celles du meilleur film, meilleur scénario original et meilleurs espoirs masculin et féminin.
Préquelle de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) mais néanmoins conçu pour qu’il puisse être apprécié indépendamment, ce nouvel opus se décline en trois parties de longueur croissante, trois souvenirs qui ont forgé l’identité du protagoniste, Paul Dedalus, qu’on devine être le double du cinéaste, et dont le nom a été emprunté à un des deux personnages principaux du plus célèbre des romans irlandais du XXe siècle, Ulysses de James Joyce.

Dans la première partie, l’enfance, on retrouve le jeune héros dans sa maison natale, à Roubaix, au sein d’une ambiance digne d’un film d’Hitchcock où il devra défendre son frère Ivan et sa sœur Delphine face à leur mère atteintes de crises de démence. Quand elle mourra, son père, meurtri de chagrin, commencera à le battre. C’est à partir de ce moment que Paul deviendra insensible à la douleur des coups…
Sans trop s’attarder sur l’épouvante, le film bascule rapidement dans le roman d’espionnage. À l’occasion d’un voyage scolaire à Minsk dans l’ex-URSS, Paul et son ami de confession israélite, Mark Zilberberg, seront chargés de fausser compagnie à leurs camarades pendant la visite du musée des beaux-arts pour apporter une enveloppe d’argent ainsi que le passeport de Paul à des juifs Refuznik coincés en URSS et dont le souhait était s’exfiltrer pour rejoindre Israël. C’est ce don d’identité qui réveillera lors d’un contrôle à l’aéroport, une fois devenu adulte, les souvenirs ensevelis dans la mémoire de Paul, mais qui ne demandent qu’à ressurgir, tant ils influent puissamment sur sa personnalité.
Mais c’est lors de la troisième partie que le génie du film se dévoile avec toute sa splendeur. Le jeune Paul de retour de Paris pour visiter ses amis du Lycée Baudelaire, va rencontrer son premier grand amour, Esther. S’ensuivra une relation longue, intense et torturée sur fond de roman épistolaire, où nous suivrons Paul qui, tel un Ulysse la plupart du temps en exil pour ses études, sera contraint de laisser sa Pénélope à la merci de ses amis chargés de la réconforter. Au fil des correspondances, la passion qui les soumet l’un à l’autre deviendra si forte qu’elle en deviendra toxique et les aventures qu’ils connaîtront chacun de leur côté déstabilisera considérablement leur couple même si leurs sentiments en demeurerons intactes.

À première vue, les deux premières parties semblent presque superflues tant la troisième est pure et intense. Mais au fil du film nous comprendrons qu’elles sont les étapes initiatiques nécessaires à forger son identité qui, comme les poupées russes, sont imbriquées les unes dans les autres. Loin des poncifs habituels, Arnaud Desplechin a su capturer avec une vérité étonnante ce moment du passage à l’âge adulte, charnière de notre personnalité et si souvent instigatrice de nostalgie.
La réussite du film ne serait rien sans les deux jeunes acteurs qui, en dépit du fait qu’ils signent tous deux ici leur premier rôle, livrent une composition d’une maturité surprenante et d’une justesse déconcertante. Paul, qu’incarne le superbe et ténébreux Quentin Dolmaire nous donne un personnage si sombre, touchant et mystérieux, tandis que Lou Roy-Lecollinet, malgré un rôle qui lui impose une nature narcissique et insolente, elle, illumine littéralement l’écran dans la peau d’Esther. Les deux jeunes acteurs nous font revivre avec une troublante pénétration la fureur de nos premières émotions, avec leur violence extravagante et paradoxale, leurs crises et leurs ravissements.
Nous vous encourageons vivement ce film dont nous espérons que vous ressortirez comme nous, c’est-à-dire comblés d’admiration.