L’image à la croisée des Lettres et de l’Histoire sociale

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L'immagine come porta di accesso privilegiata per un approccio alle Lettere e alla Storia

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

Itinerario a partire da un'immagine enigmatica, ma simbolica, per entrare nell'atmosfera culturale di un intero secolo.

di Manuela Vico

Notre cerveau est particulièrement sensible aux perceptions qui passent par les images. Certains savants estiment à 65% les stimuli visuels contre 30% de stimuli auditifs. L’habitude fait que nous voyons mais que nous ne regardons pas.

Mais en réalité en quoi consiste regarder une image ? Quels mécanismes faut-il activer ? Comment ? Dans quel but ?

Le plus souvent l’image risque de devenir auto-référentielle. Si elle est courante ou connue, elle passe devant nos yeux sans que nous ne la voyions plus, comme les ordinateurs, par paresse, on voit défiler l’image « sauvée, stockée » dans notre mémoire. Par exemple, parfois nous focalisons un détail dans ce qui nous entoure dans notre vie quotidienne, puis nous découvrons avec surprise que « ce détail » était là, dans la même position, depuis des mois. Nous ne l’avions pas perçu jusqu’à ce moment précis à cause d’un changement dans nos pensées, dans notre humeur, ou à des modifications des circonstances externes. Nous arrêtons de balayer superficiellement les objets environnants, sans que leur image puisse modifier leur image ancrée dans notre cerveau, pour les regarder enfin avec la volonté de les voir. Et du coup, nous avons tendance à ne pas croire ceux qui nous disent la vérité, nous ne voulons pas croire que nos sens nous aient trahis, sinon à quoi ferions-nous confiance dorénavant ?

Juste un petit exemple pour nous rendre compte de notre incapacité, ou paresse, à véritablement percevoir le monde externe par la vue, les images étant les victimes de cette tendance inavouée de nos sens. D’où la nécessité de développer une véritable stratégie pour nous obliger volontairement à « voir » surtout dans le cas d’images porteuses non seulement d’un sens premier, mais aussi de significations le plus souvent superposées qui devraient nous livrer un message !

Quoi de mieux que de se pencher sur un tableau énigmatique comme Le tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour pour vérifier les rapports entre les différents personnages à travers leurs attitudes et le langage muet de leurs regards.

Il faut procéder logiquement en partant des éléments base extérieurs à l’œuvre et en même temps les plus visibles pour notre enquête. Il faut donc en premier lieu présenter l’image et donner les réponses à ce premier questionnement.

 

Présenter l’image
Nature de l’image : Tableau, technique à l’huile, dimensions 106x146 cm.
Titre de l’œuvre : Le tricheur à l’as de carreau
Auteur du tableau : Georges de La Tour (1593-1652)
Date de composition : 1635-1638
Sujet du tableau : Scène de genre – jeu de société
Registre : Le tableau cache un enseignement moral
Lieu de conservation : Musée du Louvre, aile Sully, 2° étage, salle n 28

Puis on passe à la phase deux, l’analyse de l’image pour en percevoir l’organisation interne.

Analyser l’image
Composition: organisation de l’espace
Les personnages : nombre, identité
Orientation des lignes : lignes des regards, jeu des mains
Cadrage : frontal, même niveau
Couleurs : chaudes et sombres
Lumière : source externe qui focalise des détails

Et c’est au cours de cet approfondissement que commencent à apparaitre des éléments sensibles qui pourront par la suite nous éclairer et nous accompagner dans l’interprétation de l’image. D’abord la structure interne, la composition et l’organisation de l’espace présentent deux groupes bien détachés, dont les attitudes apparemment semblables révèleront par contre des attentes différentes et bien opposées déjà signalées par le titre même de l’œuvre. À ce sujet le jeu des regards et la position des mains des quatre personnages sont symptomatiques. Puis la dispositions des faisceaux de lumière recèle elle aussi un message en éclairant la scène là où le spectateur doit regarder pour comprendre.

Enfin on peut passer à la phase trois de l’interprétation de l’image où l’on voit que tous les éléments répertoriés trouvent leur explication logique et leur cohérence interne. Le tableau s’anime sous nos yeux et les quatre personnages retrouvent leur souffle vital. Rappelons que l’esprit critique qui nous permet d’enquêter autour d’un texte, d’une image ou d’une production musicale ou chorégraphique, et d’en tirer les conséquences logiques, est une des compétences capitales signalées par l’OCDE, au XXI siècle, pour réussir. Signalons aussi qu’aujourd’hui, au niveau des compétences des adultes, l’Italie se place à la 32° place après l’Espagne et juste avant la Turquie. À nous de réfléchir sur l’importance de fournir une éducation et une formation actives et responsables aux nouvelles générations.[1]

Interpréter l’image – on part de la dénotation pour arriver à la connotation
Composition : deux groupes séparés – le complot / victime isolée
Les personnages : quatre personnages, classe sociale apparemment aisée – une courtisane et un tricheur opposés à un jeune riche
Orientation des lignes : lignes des regards, jeu des mains – connivence des regards croisés, spectateur interpellé, la victime tournée vers le jeu
Cadrage : frontal – spectateur témoin direct de la scène
Couleurs : chaudes et sombres – l’ombre restreint l’espace
Lumière : source externe qui focalise des détails – effet de dramatisation

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Enfin pour une interprétation encore plus fine on peut aller à la chasse des détails qui enrichissent l’œuvre avec leur signification et nous mettent sur la piste du message que l’artiste désire nous transmettre.

Après cette longue enquête qui a mis en relief l’importance des regards croisés échangés entre les personnages, véritable dialogue muet, on peut passer à la recherche des parallèles dans le domaine des Lettres et de l’Histoire de la société, en tenant toujours compte de l’époque à laquelle œuvre et tableau appartiennent.
Une même atmosphère accompagne les personnages du tableau et ceux du roman de Madame de Lafayette, la Princesse de Clèves. Là aussi les regards croisés échangés entre les protagonistes sont porteurs de messages codifiés, annonçant parfois le bonheur, parfois le drame.

Célèbre et emblématique est la scène où Monsieur de Nemours, caché dans le jardin pendant la nuit, observe en cachette la princesse de Clèves dans son refuge à Colomiers. Un triangle de regards lie les personnages entre eux: la princesse, l’image de Monsieur de Nemours peint dans le tableau admiré par la princesse et Monsieur de Nemours lui-même conscient du sentiment de la princesse révélé par son regard admiratif vers le tableau. Cette fois pourtant le jeu des regards au lieu de révéler un complot illustre un sentiment amoureux partagé.
Dans le domaine de l’histoire de la société, trois grands personnages se sont confrontés dramatiquement et les rapports qui les lient ont été tout sauf de l’amitié.

On entend parler ici du roi Louis XIV en son jeune âge et de ses ministres Nicolas Fouquet et Jean-Baptiste Colbert. La jalousie rongeait l’âme de Louis XIV face au luxe et à la splendeur effrontée de Fouquet, son sujet, tandis que l’ambition dictait à Colbert ses manœuvres destinées à perdre son grand rival. Un triangle à nouveau où, comme dans le tableau de Georges de la Tour, deux ou trois personnages sont à l’œuvre pour dépouiller l’ingénu ou l’aveugle, dans le cas de Fouquet. L’histoire nous fait savoir que les manèges de Colbert, protégé par le roi, auront le dessus et la victime, malgré ses relations, son patrimoine et son intelligence sera destinée à succomber.
Un itinéraire dans la société complexe du XVII° siècle qui a comme point de départ un chef d’œuvre de la peinture, dont l’interprétation fournit les pistes pour un parcours à la découverte des rapports qui, à la même époque, gouvernent personnages historiques et personnages littéraires.

Note

[1] OCDE = site de l’OCDE consacré aux compétences

 

Manuela Vico a enseigné dans de différents lycées (lycée linguistique, classique, agricole et commercial). De plus elle a tenu des cours aux adultes et aux étudiants de la «Scuola di Amministrazione Aziendale» de Turin, où elle a été chargée aussi de l’organisation des stages en France. Elle a été chargée aussi des cours de français à la Faculté d’Économie et Commerce. Elle est parmi les membres fondateurs de l’Alliance française de Cuneo, dont elle est la présidente. Elle est formatrice et collabore avec la maison d’édition Pearson Italie. Elle est co-auteure de manuels scolaires, parmi lesquels Quelle chance et Objectif Esabac, et de Histoire de France en poche publiés par LANG Edizioni. Elle est journaliste.