La culture d'aujourd'hui pour le travail de demain

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Cultura e mondo del lavoro

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

In che modo la cultura, nella sua accezione più ampia, è strettamente connessa al mondo del lavoro? Nell'articolo proponiamo alcuni spunti di riflessione sul tema.

de Yann Jubier

Malgré l’opiniâtreté des hommes à louer l’antique aux dépens du moderne, il faut avouer qu’en tout genre les premiers essais sont toujours grossiers.
Voltaire, Le monde comme il va


Pour les enseignants des collèges et lycées, intéresser les élèves et les convaincre de l’intérêt d'étudier le français est un défi sans cesse renouvelé. Comment leur parler de culture ? Quel lien établir avec le travail ? Quel rôle pour le français dans leur avenir ? Autant de questions que nous aborderons et auxquelles nous tenterons modestement d'apporter des éléments de réponses.

La culture d'aujourd'hui pour le travail de demain : au-delà d'une simple formule, et pour ne pas donner raison à un ex-ministre italien qui considérait que la culture ne se mangeait pas, il s'agit surtout d'affirmer que des liens existent entre la culture – au sens large du terme, nous y reviendrons – et le monde professionnel. Dans une société où le spectacle et la communication occupent une place désormais prépondérante, que l'on s'en réjouisse ou non, il est impossible de faire l'impasse sur des domaines comme le cinéma, la chanson ou les jeux vidéos dans un cours de langue, notamment sur objectifs professionnels.
Dans cette présentation, le terme fourre-tout de « culture » sera donc entendu selon la définition du dictionnaire Larousse comme « l'ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ou une nation, une civilisation (...) » ; cette culture est aujourd'hui mondialisée, et elle inclut par exemple le sport, l'humour ou le rap. Il nous semble important en effet de rappeler que la culture française n'est pas née en 1802 avec Victor Hugo et qu'elle n'est pas morte en 1963 avec Edith Piaf ; de même, la Nouvelle Vague fait désormais partie de l'Histoire et le cinéma francophone a su se renouveler, en France, au Canada ou en Afrique1. C'est la même chose pour la chanson ou la bande dessinée qui a survécu à la disparition du créateur – belge – de Tintin.
Ainsi, à l'instar de journalistes québécois venus en France au début des années 2000 pour « renouveler les clichés » des Américains sur les Français2, cette contribution se propose de faire un état des lieux non exhaustif du paysage culturel français susceptible d'intéresser de jeunes étrangers.

Ne l'oublions pas, la dimension internationale du français est essentielle : la francophonie regroupe de nombreux pays, africains notamment, qui contribuent et contribueront de plus en plus à la diffusion du français. De même, la langue française est aujourd'hui encore la langue de nombreuses institutions internationales et est fréquemment requise pour des cursus de l'enseignement supérieur. Dans un monde où la mobilité est présentée comme un élément essentiel de la formation, la connaissance du français est un atout non négligeable.
On connaît les risques de la mondialisation : dilution des savoirs, standardisation des modes de pensée, « pasteurisation » de la culture, hégémonie de la langue anglaise. Si ces risques existent, rien n'est inéluctable et le français peut et doit participer à ce mouvement, aux côtés d'autres langues comme l'espagnol, l'italien ou l'allemand, non pas contre elles. Plus que le bilinguisme, il s'agit de favoriser le plurilinguisme.

Certains jeunes artistes francophones l'ont bien compris et n'hésitent pas à mélanger les langues, voire à chambouler tous les repères. C'est le cas par exemple de Bilal Hassani, chanteur choisi par le public pour représenter la France au prochain concours de l'Eurovision avec une chanson au texte mi-français mi-anglais. Ce jeune queer présenté par une journaliste qui l'a interviewé comme « l'incarnation d'une jeunesse décomplexée » rappelle des candidats d'hier, israélien ou autrichien, mais aussi le vainqueur du dernier festival de San Remo.

Dans le domaine de la musique, c'est désormais le rap que les jeunes écoutent en priorité, et c'est un phénomène extraordinaire. En effet, si l'on se fie à YouTube, un des nouveaux mètres-étalon de la popularité, les vidéos de rappeurs francophones tels que Soprano, Niska ou Maitre Gims sont vues des dizaines voire des centaines de millions de fois ! Et les jeunes Italiens font partie de ce public, des groupes comme SCH qui se met volontiers en scène dans des décors italiens contribuent à cette porosité des frontières via la musique.
Bien entendu, les messages véhiculés par certains morceaux de musique et de rap en particulier peuvent poser problème et tous les textes ne conviennent pas à une exploitation pédagogique pour différentes raisons (violence, sexisme, grossièreté...). Toutefois, il semble difficile de passer à côté de ce phénomène qui a depuis longtemps dépassé le stade de simple mode passagère, et des chanteurs comme Big Flo et Oli proposent des textes facilement exploitables3.
A noter que depuis le collectif Bisso Na Bisso en 1999 jusqu'à Maitre Gims aujourd'hui, le rap français se colore de culture congolaise. On retrouve là aussi l'empreinte de la francophonie4.
Dans le domaine du cinéma, les comédies sociales ou simplement légères ont remplacé les fameux films d'auteurs français, « ennuyeux », « bavards » ou « trop lents ». Et ces comédies s'exportent bien : « Bienvenue chez les Ch'tis », « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? », « Intouchables » ou « La famille Bélier » sont la vitrine d'un cinéma français qui touche un large public, non seulement en France ; c'est d'ailleurs en Italie que les films français obtiennent leurs meilleurs résultats5. De qualité certes inégale, ces films peuvent facilement faire l'objet d'une exploitation en classe.
Parmi les comédiens actuels, ils sont nombreux à être passés par la scène et particulièrement par le stand-up (monologue comique inspiré par les Américains) : depuis Djamel Debbouze ou Gad Elmaleh qui font aujourd'hui figure d'anciens, jusqu'à Fabrice Eboué ou Kev Adams, les humoristes occupent aujourd'hui une place importante dans la culture populaire, qu'ils soient sur scène, à la télévision, au cinéma ou sur Internet. Mais on le sait, l'humour a parfois du mal à passer les frontières, même si la langue est commune. L'initiative Sans visa6  des humoristes nigériens Mamane et français Jérémie Ferrari tente justement de démentir cet a priori.
Le sport occupe également une place importante dans la vie des jeunes, qu'ils en fassent ou qu'ils se contentent de le regarder à la télé et sur Internet. Le football a atteint un niveau de popularité qu'il n'avait pas il y a quelques années, du fait notamment du succès international de joueurs ou d’entraîneurs comme Z. Zidane, K. Mbappé ou A. Griezmann, et récemment grâce à la victoire en Coupe du monde de l'équipe de France. Le basket a également connu son heure de gloire avec Tony Parker et d'autres joueurs français qui ont joué en NBA (championnat des États-Unis), vitrine mondiale de ce sport. On constate aussi que le sport est aujourd'hui associé à la musique et à la culture urbaine : par exemple, Antoine Griezmann célèbre ses buts par une mini-chorégraphie imitant les personnages du jeu Fortnite. De même, on constate une grande proximité entre rappeurs et footballeurs7.

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A propos de jeux vidéos, là encore, quoi qu'on en pense, Fortnite, PES ou Assassin's Creed (jeu développé par un groupe français) font partie du quotidien de la plupart des adolescents. On peut le regretter, on ne peut pas faire comme si cela n'existait pas. Dans ces conditions, il vaut sans doute mieux se familiariser avec cet univers que de chercher à l'ostraciser. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Ubisoft, l'éditeur d'Assassin's Creed, en proposant des modules pédagogiques destinés aux écoles8. Sans tomber dans la démagogie, on peut se féliciter de ce type d'initiative tout en restant attentif aux contenus, l'idée n'étant pas de tirer l'enseignement vers le bas mais de donner aux jeunes des clés pour apprendre, être curieux, avoir envie de découvrir.

Ainsi, du sport au cinéma en passant par la musique ou les jeux, la culture francophone d'aujourd'hui dépasse largement les frontières étroites de l'Hexagone, elle est ouverte sur le monde et peut parler aux jeunes Italiens qui sont désormais facilement au contact d'autres cultures par le biais d'Internet et des différents médias sociaux.

Certains de ces thèmes peuvent se décliner dans une perspective axée sur le monde du travail. Le monde francophone offre par exemple des opportunités dans le cinéma : dans le sud du Maroc, les studios Atlas ont accueilli les tournages de films comme Gladiator et de séries comme Game of Thrones. Netflix investit également dans la production française9.
Le jeu vidéo, avec notamment Ubisoft, et plus largement les nouvelles technologies sont des secteurs en plein essor. La French Tech 10– nom donné à l'ensemble qui regroupe les start-ups françaises – a été lancée pour dynamiser la recherche et le développement dans ce domaine, avec le soutien du gouvernement.
Le marché du sport a lui aussi connu une expansion très rapide et le sport business attire de nombreux jeunes.
Enfin, d'autres secteurs, comme le tourisme, peuvent également représenter un intérêt pour les jeunes Italiens qui rêvent d'ailleurs. Sans oublier que sur le plan économique, la France est le 2ème client et le 2ème partenaire de l'Italie. Edoardo Sacchi, entrepreneur, investisseur, conseilleur économique, Président fondateur d’Italy-France Group, et fondateur du Club Italie-France, rappelle que « les échanges commerciaux entre l’Italie et la France en 2018 [représentent] une manne économique de presque 80 milliards d’euros ». En élargissant à la communauté francophone et notamment à l'Afrique, il ne faut pas oublier que les économies de certains de ces pays sont très dynamiques ; et s'ils restent méconnus des jeunes Italiens, les entrepreneurs, eux, se tournent de plus en plus volontiers vers les pays africains11.

La culture francophone d'aujourd'hui a donc de multiples facettes dont certaines peuvent faire l'objet de séquences pédagogiques susceptibles d'éveiller l’intérêt des jeunes Italiens puisqu'elle leur est déjà familière. Ils ont sûrement entendu les chansons de Stromae ou de Zaz, vu un épisode de la série Profilage, applaudi les performances de Paul Pogba ou de Blaise Matuidi ; c'est cette familiarité qu'il faut exploiter en cours pour faire des élèves d'aujourd'hui les francophones (francophiles?) de demain.

 

Yann Jubier : Il a enseigné à l'Alliance française de Bordeaux et a travaillé comme concepteur de matériel pédagogique de FLE à l'Université de Bordeaux 2 (programme Vif@x). Il enseigne aujourd'hui à l'Institut français de Milan où il assure des cours de tous niveaux pour un public adulte et adolescent, ainsi que des cours de préparation aux certifications Delf et Dalf. Il est également en charge des cours de grammaire française 1er niveau à l'Université Bicocca de Milan. Il est co-auteur de manuels et de méthodes – sur papier et en ligne – parmi lesquels Le DELF scolaire B1 à coup sûr! et France Vlog - Le français, langue d'avenir pour Pearson Italia. Il est traducteur de l'italien vers le français.

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