Les Incontournables : Pierre Bergé

Pierre Bergé avec Yves Saint Laurent

La sua vita è un romanzo

LES INCONTOURNABLES

Una personalità forte che ha anticipato le mode senza farsi influenzare dai pregiudizi.

di Manuela Vico

Pierre Bergé avec Yves Saint Laurent

Le nom Pierre Bergé ne parle pas trop aux Italiens, par contre en France ce personnage est un mythe aux yeux de la plupart des gens. Pourquoi ? Comme il s’amusait à le dire lui-même, il n’avait pas le bac, mais il avait acheté Le Monde ! En effet son poids dans le monde de la presse a été tout à fait remarquable : fondateur du Courrier International et du Globe, actionnaire de Pink TV, il devint en 2010 l’un des actionnaires du Monde dont il assura la présidence du conseil de surveillance, puis de L’Obs en 2014.
Sa vie elle-même est un roman. Originaire de l’île d’Oléron, il quitte la Rochelle, sans terminer ses études et part pour Paris avec l’idée de devenir journaliste ou écrivain. À dix-huit ans, il devient tout d’abord marchand de livres et d’éditions originales. Ce goût pour les beaux livres, hérité de sa mère institutrice, marquera toute sa vie et fera de lui un collectionneur d’exception. Une partie de sa bibliothèque, environ 1600 livres, partitions musicales et manuscrits précieux du XVe au XXe siècle, sera vendue cette année aux enchères à l’Hôtel Drouot avec une valeur de départ supérieure à 11 millions d’euros!
À Paris, il se lie d’amitié avec les plus importantes personnalités de son temps : Jean Cocteau sera un grand ami pour lui et lui ouvrira les portes du monde intellectuel de prestige où tout le monde se connaît. Mais il rencontre aussi Aragon et Camus avec qui il a partagé une cellule lors d’une manifestation, n’ayant pas couru assez vite pour s’échapper…
Avec Jean Giono, de trente-cinq ans son aîné, le rapport est de grande estime et d’admiration de la part du jeune homme qui avoue « Il fut mon mentor, mon ami, mon guide ! Il m’a fait découvrir tant de choses, lire tant de livres ! ». Issu d’une famille qui, après un passage militant par la SFIO[1]  de Léon Blum, se veut anarchiste, Pierre Bergé a défendu toute sa vie les principes libertaires et pacifistes. Il n’a que 19 ans, lorsqu’il s’engage dans le combat de Garry Davis[2]  pour une citoyenneté au-delà des frontières et publie le journal La Patrie Mondiale, qui ne paraîtra que deux fois seulement, et dont il a été le rédacteur en chef. Dans ce monde intellectuel en bouillonnement, Pierre Bergé affiche sans crainte son homosexualité et s’engage pendant huit ans dans une relation exclusive avec le peintre Bernard Buffet. Grâce à sa forte volonté, Pierre Bergé arrive à l’imposer comme son compagnon, même à sa mère, et œuvre pour lui ouvrir une brillante carrière, malgré le caractère dépressif de l’artiste voué aux médicaments et à l’alcool.

Pierre Bergé pendant  la préparation d’un défilé d’Yves Saint Laurent

Cependant c’est sa rencontre avec Yves Saint Laurent, autre grand dépressif, qui marquera toute sa vie et orientera aussi son activité financière. Il n’a lui-même que 28 ans et il est foudroyé par ce jeune homme de 21 ans, devenu, à la mort brutale de Christian Dior[3] , responsable de la plus grande Maison de couture au monde. Du jour au lendemain il quitte Bernard Buffet, conservant cependant un rapport d’amitié avec lui, et s’engage totalement aux côtés du jeune couturier. En 1960, Yves Saint Laurent est appelé sous les armes et fait son service militaire en Algérie, sa terre natale, mais il doit être hospitalisé à cause d’une forte dépression, ce qui lui vaut le renvoi de la Maison Dior. C’est à partir de ce moment-là que le jeune couple se lance dans la création de mode et fonde la maison Yves Saint Laurent en bouleversant tous les codes vestimentaires de l’époque. «Yves Saint Laurent n’aimait pas la mode, il aimait le style », affirme Pierre Bergé qui travaille d’arrache-pied pour assurer le succès de l’entreprise. Il s’occupe de tout : du marketing, mais aussi des moindres détails comme les parfums à associer aux créations de mode, le choix des mannequins lors des défilés, tout en s’entretenant amicalement avec les stars et les clients de luxe. Dans ce couple indissociable le jeune couturier brille par sa créativité et ses scandales, comme lorsqu’il pose nu pour lancer son nouveau parfum pour homme, et c’est Pierre Bergé qui le soutient durant ses fréquentes crises dépressives. Lors de la crise pétrolière de 1973, Yves Saint Laurent cherche la faveur de la nouvelle clientèle féminine orientale à la quête d’un luxe raffiné et il obtient le succès mondial avec Opium, un parfum aux fortes notes exotiques. Mais malgré ses innombrables succès, sa fragilité psychologique s’accentue au point que son compagnon avouera plus tard « Il est né avec une dépression nerveuse, il n’avait pas le talent de la vie ». Avec Yves Saint Laurent, Bergé reprend son rôle protecteur tout en quittant le domicile commun lorsqu’une nuit son compagnon, ivre, lui jette une sculpture au visage. Bergé écrira plus tard « c’est triste de voir quelqu’un qui se suicide, qui se détruit. Vous êtes totalement impuissant ».
En dépit du fait que la griffe périclite petit à petit, Pierre Bergé parvient à créer le mythe de Yves Saint Laurent. En 1983, il organise la première rétrospective Yves Saint Laurent au Metropolitan Museum de New York pour finir par le défilé au Stade de France en 1998 lors de la Coupe du monde. Il devait inaugurer ce mois d’octobre, à neuf ans de la mort de son compagnon avec qui il s’était pacsé, deux musées Saint Laurent, l’un à Paris et l’autre à Marrakech, lorsqu’il a lui-même disparu après une longue maladie.

Pierre Bergé dans son bureau avec le portrait d’Yves Saint Laurent réalisé par Andy Warhol derrière lui

Le personnage de Pierre Bergé ne peut pas être compris sans évoquer les différents domaines où s’est exprimé son génie, de l’engagement politique à côté du Président François Mitterrand, en 1988, à son activité financière. Enrichi par la vente de la maison de couture, il multiplie ses activités dans la gastronomie de luxe, il devient PDG (Président-Directeur Général) de la brasserie parisienne « Prunier » et s’oriente vers le monde de l’art. Nommé Grand Mécène des arts et de la culture en 2001, Pierre Bergé soutient des achats de tableaux au Louvre, la rénovation de deux salles à la National Gallery de Londres ou celle du Centre Pompidou à Paris. Tout cela sans oublier les belles-lettres car il devient aussi, à partir de 2004, président du Comité Pierre Mac Orlan[4] pour lequel il délivre les autorisations d'exploitation de l'œuvre de Mac Orlan. Impossible de citer toute les activités de ce forcené du travail qui a consacré sa vie au culte de la beauté.

[1] SFIO : Section Française de l’Internationale Ouvrière, parti socialiste français, qui a existé sous ce nom de 1905 à 1969.
[2] Garry Davis : pilote américain, bouleversé par les atrocités de la seconde guerre mondiale, décide de créer un mouvement mondialiste demandant un gouvernement mondial, et crée à ce but le mouvement des Citoyens du monde.
[3] Christian Dior meurt à l’improviste d’une crise cardiaque à Montecatini en 1957 à l’âge de 52 ans.
[4] Mac Orlan : écrivain français (1882–1970). Sa production littéraire est très variée, il passe des contes humoristiques aux romans d’aventures.

 

Manuela Vico a enseigné dans de différents lycées (lycée linguistique, classique, agricole et commercial). De plus elle a tenu des cours aux adultes et aux étudiants de la «Scuola di Amministrazione Aziendale» de Turin, où elle a été chargée aussi de l’organisation des stages en France. Elle a été chargée aussi des cours de français à la Faculté d’Économie et Commerce. Elle est parmi les membres fondateurs de l’Alliance française de Cuneo, dont elle est la présidente. Depuis avril 2015 elle fait partie du Conseil d’Administration de la Fédération des Alliances d’Italie. Elle est formatrice et collabore avec la maison d’édition Pearson Italie. Elle est co-auteure de manuels scolaires, parmi lesquels Quelle chance, publié par LANG Edizioni.